Lettre de la fille d’une émigrée en Algérie

, par Renard

Préambule : Cette lettre avait été reçue par ma tante en 1995 et m’a été transmise plusieurs années après . Elle a été écrite par la fille d’Alice. La vie était difficile en Valais et Alice est partie en Algérie en 1920 pour y travailler. Elle était la dernière d’une fratrie de 18 enfants.

Mon père nous racontait que pour Noël lorsqu’il était enfant, sa tante Alice envoyait depuis là-bas un colis composé d’oranges, de dates et de fruits jamais vus ici, c’était l’événement au village la venue de ces fruits exotiques.

Puis la trace d’Alice se perdit à partir de 1928 jusqu’en 1995, au moment ou ma tante a reçu cette lettre. Pour la petite histoire, c’est une cousine d’Andrée la fille d’Alice, de passage à Sion qui est allée se désaltérer dans un bistrot dont le patron portait le même patronyme qu’Alice, et qui a supposé qu’Alice venait de la région. En effet, Andrée comme elle explique dans la lettre ne sait que peu de chose de sa mère sinon qu’elle était suissesse.

Nous sommes allés rendre visite à Andrée et son mari lors de vacances en Corse en 2004, mais depuis le contact a été perdu.

Et maintenant, voici la lettre recopiée dans le cadre d’un exercice de dactylo. Certains patronymes ont été anonymisés par souci de confidentialité mais sont connus du copiste.


EXERCICE DE CLAVIER


Ce texte est la copie la plus fidèle possible d’une lettre d’Andrée P*, fille de feu Alice F*

Vendredi 27 octobre 1995
Chers cousins, cousines etc… Cher cousin M. (cela me fait drôle) quoi dire. Je suis très émue de me trouver, tout à coup une famille moi, qui n’avait personne.
Grâce à notre cousine, c’est à dire la cousine de mon mari, quel dommage, que je n’aie pas cherché avant, que de temps perdu.
Je suis née en Algérie, le 12 octobre 1928 à Bône, très jolie ville que nous avons laissée, ça c’est une autre histoire….. hélas !
Le 4 avril 1920 Quand maman est arrivée en Algérie, à mon avis, la copine avec qui elle était partie devait avoir un point de chute. Elles sont allées à Batna dans le port (quelques mots illisibles) Donc est-elle restée à Batna avant ma naissance ces 8 années, je ne sais pas. Elle avait travaillé chez un couple avec enfants. Cette famille a quitté Batna, et avait demandé à maman d’aller avec eux, elle n’avait pas voulu, était-elle enceinte à ce moment là ?
Arrivée à Bône ? Je ne sais pas ce que maman a pu faire, je sais que je suis née le 12 octobre 1928 à Bône, à l’hôpital Civil, j’ai été mise en garderie à la pouponnière comme l’on disait en ce temps là, et elle a travaillé au Touring Hôtel où elle était très appréciée. Et elle venait me voir le jeudi après-midi et m’emmenait promener pour ensuite me ramener à la garderie. Quelques fois le dimanche quand elle n’était pas de service. J’avais des photos au petit jardin public où nous allions souvent. (elle payait ma pension)
Quand j’ai eu 3 ans, elle m’a mise chez une grand-mère qui m’a tout de suite adoptée et moi aussi. Elles étaient devenues de grandes amies.
Quand j’ai eu 6 ans, maman était malade, elle a du faire une cure, envoyée par son docteur aux sources thermales de Thonon-les-Bains, pas loin de la frontière suisse. Je me souviens d’une anecdote ; je m’étais sauvée, sur la route de Genève pour aller voir mes tantes, oncles et cousines, c’était en octobre 1934. Pourquoi n’a t’elle essayé de passer en Suisse ?
Puis retour en Algérie, où je suis restée encore chez ma bonne grand-mère qui était tout pour moi.
J’avais donc 7 ans quand maman m’a prise avec elle. En 1935. Car elle avait avoué à sa patronne, qu’elle avait une petite fille de sept ans. Après avoir été en école laïc 1 an.
Quand maman m’a reprise avec elle, elle m’a donc mise en école religieuse appelée : Doctrine Chrétienne, payante. On dit aujourd’hui : Ecole libre où j’ai eu (tout près de l’hôtel où elle a travaillé) comme elle le voulait une éducation formidable, aussi catholique, (j’ai fait ma communion p…. et solennelle) que scolaire. Je n’ai pas été du tout une bonne élève, je rêvais tout le temps, et j’étais très paresseuse. Et je pouvais travailler au grand désespoir de maman et pourtant que de sacrifices a t’elle fait ! Leçons de piano, je ne voulais pas apprendre le solfège, j’avais le choix, arrêter ou continuer avec solfège. J’ai choisi d’arrêter. J’ai regretté depuis encore aujourd’hui.
J’ai quand même travaillé pour avoir mon certificat d’étude le 4 juin 1940, ne serait ce que pour la joie de maman. Je suis arrivée en 6ème classique, latin, anglais etc…..
Là j’avais fait un peu de progrès, puis en 5ème arrêté 2 mois cause de la guerre, là encore maman a eu un courage (je m’en souviendrai toujours) formidable ! Jusqu’à remplacer un gars qui faisait partie de la défense passive qui était très peureux, elle en a éteint des bombes incendiaires qui n’avaient pas éclatés tout à fait, mais il y avait quand même des flammes, bref ! Peu de temps après j’ai repris ma 5ème et malgré quelques alertes. Je suis entrée en 4ème, pas très bonne année pour moi, en octobre 1943. Là maman est tombée malade, elle soufrait d’un ulcère à l’estomac depuis un an qui est devenu cancéreux, elle a beaucoup souffert. Puis elle à été hospitalisée, début décembre 43. Opérée vers le 10 ou 12 janvier1944, je crois. Malheureusement ça n’a pas marché, elle est décédée le 15 janvier 44. Nous avions fait le projet de revenir en Suisse. Que de fois elle disait « jamais ma famille n’accepterait de me recevoir avec un enfant sans père » Je n’avais pas compris.
Me voilà seule, j’ai été ballottée.
Son patron s’est présenté comme tuteur qui n’a jamais été officiel ni légal.
Je n’était pas aimée. Puis je me suis retrouvée dans un orphelinat.
Même en classe, la maîtresse principale (religieuse) ne m’aimait pas. Je le sentais beaucoup. Heureusement que j’avais quelques bonnes copines, qui auraient bien voulu m’adopter chez elles. Malheureusement tout était contre moi-même chez mon mari, pourtant sa sœur était une de mes copines d’enfance religieuse et soi-disant tuteur n’ont voulu. Enfin. Je me croyait heureuse enfin, aujourd’hui je le sais, je n’avais pas de joie, aucune visite, vraiment orpheline.
1946 Voilà un jour mon copain d’enfance qui est devenu mon mari, est venu avec son père (décide en septembre 47) en 1946. Bien sûr (oh ! scandale pour les religieuses) ce n’est pas possible, malgré que ma belle sœur était là, cela a été refusé, ce n’était pas possible d’aller vivre chez eux, il y avait un garçon.
Puis quelques années plus tard, ce garçon comme elles disaient, est venu demander ma main, j’ai accepté. Je t’avoue mon cousin, j’ai dit oui pour pouvoir sortir de cet orphelinat. 1948-1950 Bien sûr il a fait son service militaire ; quand je recevais ses lettres, elles passaient à la censure, bien sûr le texte était intégral, heureusement. Quand il venait me voir, il y avait une religieuse avec moi, c’est triste hein ! C’est l’époque qui voulait ça, Enfin !
Octobre 1950- mars 1951 J’ai eu 21 ans, et je suis restée un an de plus avec ces chères religieuses. Puis à 22 ans (elles ne m’ont pas ménagées, malgré ma majorité) donc, j’ai été placée dans une famille très gentille, je me rends compte aujourd’hui très puritaine, difficile, ne me pardonnait aucune faute, d’ailleurs mon courrier était ouvert à la poste dont la postière qui n’était autre que la sœur de mon patron disons, même une fois mon fiancé donc m’a appelé au téléphone à la poste, elle a rapporté ma conversation.
Mars à juillet 1951 Je ne leur plaisait plus donc, donc j’ai été ramené à l’orphelinat, oh ! pas longtemps, mon futur beau frère est venu me chercher et m’a ramené à Souk Abras à 72 km de Bône. J’étais triste chez eux, je suis restée 4 mois, il y avait 2 enfants et j’aidais au ménage avec la bonne. Je m’occupais du 2ème enfant qui n’avait qu’un an. Là je n’étais pas très heureuse mais je n’étais pas malheureuse. J’étais quand même libre, à peu près quoi. Ils ont décidés de la date de mon mariage sans mon avis. J’ai eu l’impression que mon beau père (oh ! oui le demi frère de mon mari un P*) et sa femme qu’ils voulaient me caser au plus vite. Me voilà mariée à Souk Abras (dpt de Bône) le 21 juillet 1951. Un petit lunch et hop ! Parti à Bône le soir même et nous voilà, pas chez nous, mais notre belle sœur, sœur jumelle de mon mari nous a hébergés en attendant, hélas mon mari s’est trouvé chômeur. Là-bas très dur de trouver du boulot, il fallait des diplômes à cause des algériens, pas de prime de chômage nous avons vivoté plus de 2 ans, j’ai eu ma fille aînée à Bône le 16 05 52 Monique Alice, elle n’avait pas eu tout ce qu’un enfant avait, vraiment elle a été privée, mais ne s’en rendant pas compte ne me demandait rien.
1954 Je n’avais (que très rarement) pas un sou en poche, comment l’aurais-je gâtée. C’est une époque que mon mari et moi n’oublions pas, puisque aujourd’hui nous vivons bien. Ensuite mon mari a passé le concours des douanes, après pas mal de travaux saisonniers, pesée du tabac, ferraille etc, et pylônes en construction qui a été un de ses premiers boulots en célibataire. Là, j’avais eu droit à l’allocation famille à l’époque ce qui était beau 20 fr par mois (1953), parce qu’il a travaillé aux ponts et chaussées pour la construction d’une digue, et reçu au concours des douanes, nous avons quitté Bône pour aller après un stage de 6 mois à Cherchell, (toujours en Algérie près d’Alger) a Clairfontaine (oui sans e) petit village frontalier de Tunisie ou j’ai eu mon fils Patrick né là le 6 juin 1955, nous vivions en bonne entente avec les Algériens et les quelques familles françaises, si peu, et colons dont le garde chasse qui était corse, gendarmes et douaniers.
Puis la guerre d’Algérie est arrivée, nous tremblions de peur, surtout quand nos maris allaient travailler à la frontière. Ils faisaient que des aller et retours, car avant ils passaient 36 heures ou 48 heures. Nous avons eu pas mal d’attentats. Les militaires sont arrivés, le 411ème régiment puis d’autres. Nous étions en bonne entente. Après quelques accalmies, nous avons pris l’habitude.
Ma fille Brigitte est née le 17 novembre 1958 après avoir fait 2 fausses couches, à Clairfontaine. Elle a été longtemps à surveiller, elle était prématurée, dans ce village il n’y avait pas de médecins spécialisés, que médecins militaires spécialisés en otho rhino alors….Ayant pas mal d’ennuis avec les arabes, nous devions quitter l’Algérie sous peine de mort. Nous avions le choix, ou rester pour faire une Algérie française ou partir, nous avons opté de partir avec le cœur bien gros, car pour ma part j’aimais bien mon pays natal.
Nous nous sommes trouvés 2 couples et nous, en Moselle, puis là nous nous sommes séparés, pour notre part nous avons eu le village le plus triste, les habitants au nombre de 300 parlaient un patois allemand (entre eux), ils parlaient français bien sur, puis tout doucement nous nous sommes habitués, là j’ai eu ma fille Chantal le 30 mai 1960, une époque charmante, un beau pays que la Moselle. Après 5 ans et demi, oh j’ai oublié c’était à la frontière sarroise, là aussi c’était tout une histoire, bref ! Puis nous sommes allés à Thionville, frontière du Luxembourg. Une jolie petite ville où j’ai eu ma fille Françoise le 18 juillet 1965, cela m’a fait 2 lorraines.
Il y avait longtemps que nous n’avions pas vécu en ville. Ils fallait voir nos plus petits émerveillés de toutes les lumières de Noël et du nouvel an 1965, puisque dans nos petits bleds, il n’y avait rien. Puis après 2 ans et demi en Moselle, nous avons terminé par Lorient (en Bretagne Morbihan) et là mon mari a été radio, il aimait ce travail. Nous sommes restés 15 ans, là est né Bruno mon dernier le 13 mars 1969, un vrai breton. Il aime beaucoup sa Bretagne. Nous avons faits des sorties dans pas mal de petits patelins, ……….plages, j’en garde un très très bon souvenir ! Mes filles Monique (1974), Brigitte (1977), et Chantal, (1978) se sont casées à Lorient. Là mon fils Patrick, marié en 1984, puis divorcé en 1992, 1 enfant.
Nous avions retrouvé notre amie Joëlle avec laquelle nous sommes restés en très bons termes.
Puis nous sommes allés en vacances en 1981 en Corse à Ajaccio, et voilà qu’Alphonse à eu la nostalgie de Bône, tout d’abord d’avoir retrouvé sa sœur qui est sa jumelle, et puis le soleil. J’en ai dit des prières pour ne pas quitter le pays, je m’étais fait pas mal d’amies, surtout aux réunions d’école, nous avions fait un petit groupe bien soudé, et puis mes enfants, j’avais élevé aussi pendant 4 ans ma petite fille, fille de ma fille aînée, et puis il fallait suivre mon mari avec mes deux derniers Françoise et Bruno, Françoise n’a pu rester avec nous, elle est partie un jour sans prévenir. Bruno a continué ses études, très bon élève, a redoublé 2 classes 2nd et terminale et a eu son bac en juin 89. Mon mari a eu sa retraite le 9-4-89, après 35 ans de bons services. Nous avons quittés la caserne des douanes, pour habiter une H.L.M. (habitations à loyer modéré), modéré si l’on veut. Là nous n’avons pas eu d’enfants ouf ! Heureusement j’avais 40 ans quand j’ai eu Bruno.
Mon fils Bruno a fait 1 an d’université à Corte (toujours en Corse). Il voulait essayer d’être ingénieur du son. N’ayant pu passer sa deuxième année, il a fait son service militaire en Bretagne comme marin mais à terre, trop malade pour voyager, il a été donc au bureau, secrétaire du cmdt, mais n’a pas voulu rempiler comme on dit ! Son commandant a été nommé colonel. Libéré il a un peu pivoter et parti à Paris, il avait lu sur le journal local de Lorient, une annonce pour faire l’école d’infirmier. Il a tenté le concours et a réussi, il était heureux. Il en est à sa 3ème année et a eu toujours de bonnes notes. Pour le moment il loge chez sa sœur Françoise, mariée 4 enfants. Heureusement car il aurait fallu le loger, restaurer etc. Nous devons à notre fille une fière chandelle, elle l’a hébergé voilà 3 ans, cela lui a permis de travailler le mieux possible, il à ses petits-neveux qui sont assez bruyants et touche à tout. Il a du mérite, il a un petit salaire de 1500 fr par l’Etat, dès qu’on peut nous l’aidons, quoi raconter ?
Nous allons en Bretagne presque tous les ans. Je reviens avec un gros cafard. Car ici petits et grands me manquent, enfin ! Je patiente pour l’année après, voilà !
J’ai beaucoup de joie de savoir que j’ai des cousins suis la plus vieille de ceux qui restent. J’espère, chers cousins et cousines que je ne vous ai pas trop ennuyées avec mon récit.
Ci-joint des photos, dont une de maman, et je possède son passeport bien abîmé et sa carte d’identité, dépliante couleur bleue. J’avais des photos avec elle, communion solennelle, bébé, tout a été perdu quand, maman est morte, vu que je me suis trouvée à l’orphelinat. J’ai perdu tous mes souvenirs, dommage, enfin tout ce que j’ai écrit c’est tout ce que j’ai pu me souvenir, voilà…..
Il me tarde d’avoir de vos nouvelles et j’en serai très heureuse des photos.
En attendant je vous embrasse tous et toutes affectueusement ; mon mari se joint à moi.
Signé Andrée-Marie

P.S. Je ne vous ai pas dit que de février 1944 au 31 mai à 15 h. j’étais dans une famille sicilienne, évidemment, ma vie ne leur plaisait pas. C’était les parents d’une copine de classe que j’aimais bien. Sa mère ne m’a pas ….rangée près de pas mal d’école religieuse, St Vincent de Paul, refusée, entre autres. A l’orphelinat je fus acceptée, les religieuses étaient les mêmes, que mon école. Et voilà comment je suis arrivée là.
Terminé le 8 novembre 1995 à 17 heures.

Voici mon adresse :

Alphonse et Andrée P*
20090 AJACCIO
Tél. 0033 * ** *** ***

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